nuit de tempête

Publié le par ty mor

Afrique-du-sud--419-.jpgLe lendemain de Noël, on va voir la météo sur Internet, sur windguru.com. Ce n’est pas fameux, pas de vent, dont une demi-journée avec vent contraire. Mais la météo des jours suivants n’est pas mieux, un coup de vent puis encore du vent contraire, ça ne sera pas favorable avant début janvier. Minuit hésitent à partir. On en a marre d’être là, on a envie d’avancer, je décide de partir. Pour faire deux cents milles, on aura peut-être vingt-quatre heures de moteur, mais on y sera. Les autres bateaux se décident et me suivent.
Sortis du port, surprise, pour un vent de quelques noeuds annoncé, on a entre vingt et trente noeuds, mais en plein nez. On tire un grand bord vers le large pour être tranquilles la nuit. La météo nous annonce du sud pour la nuit, on pourra donc revenir sur notre cap. On est au près mais on avance bien. J’attends toute la nuit que le vent tourne, il ne tourne pas. Je me retrouve le matin loin au large dans les plates-formes pétrolières. J’ai perdu les autres bateaux, trop loin pour un contact VHF. On tire toute la journée un bord pour nous ramener vers l’ouest. Le soir suivant, on aurait dû passer le cap des Aiguilles qui était à cent vingt miles du départ, il nous reste soixante-dix milles, et on en a parcouru cent cinquante. Et le vent reste sud ouest, vingt noeuds, contrairement à ce qui était annoncé. Deuxième nuit à tirer des bords. 
Le cap des Aiguilles, Cape Agulhas sur la carte grande routière, Needles point sur la carte de détail, c’est le cap le plus au sud du continent africain. Contrairement à ce que nous a fait croire notre instituteur, ce n’est pas le cap de Bonne Espérance. Le cap des Aiguilles est à 34° 50 sud et 20° 00 est. Le cap de Bonne Espérance, lui est à 34° 21 50 sud et 18° 29 90 Est. Donc, environ une vingtaine de milles plus au nord. 
Ce cap des Aiguilles, pour nous, c’est stratégique pour plusieurs raisons. La première, c’est que, dès qu’on l’a passé, on remet du nord dans notre cap. C’est important, parce qu’on ne s’éloigne plus de la France, on y retourne. On ne part plus sur les mers, on revient. On a l’étrave qui met doucement Morlaix, le port d’attache, dans son axe. La deuxième raison ; c’est le dernier virage avant la sortie de l’océan Indien, la fin des navigations difficiles. Après, à nous les belles remontées sous les alizés, vent arrière. Et ce jour là, c’était stratégique parce que après, finis les bords à tirer, en mettant du nord dans notre cap, on arrivera presque vent de travers, et, avec vingt nœuds, on arrivera enfin sur les chapeaux de roue. Afrique du sud (531)
Erreur, énorme erreur, le vent a tourné le cap avec nous, il est resté désespérément dans notre nez, on a continué à tirer des bords. Le 28 au soir, le vent monte, 30 nœuds, continue à monter, peut être quarante, toujours dans notre nez. Je suis venu vers la côte pour tirer un bord vers le large pendant la nuit. Météo sur VHF, on annonce 30 à 40 nœuds pour le lendemain. On les a déjà largement, merci de nous prévenir que ça va durer encore un peu. J’ai déjà bien réduit les voiles, mais pour la première fois, je ne suis pas rassuré. J’ai un pressentiment : on va avoir des emmerdes. Je n’ai pas peur, mais je paierais cher pour être devant ma télé à regarder un navet. Qu’est ce qu’on est venu foutre ici ? Je préviens le matelot qu’on va être secoué, mais on l’est déjà bien. J’arrive à progresser doucement à trente cinq degrés de mon cap, je garde le moteur en route au ralenti pour améliorer le cap et me faire du courant : il y a beaucoup de cargos, je laisserai en plus de mes feux de route mon feu de route moteur, je garderai le radar allumé et l’ordinateur pour suivre ma route. Vers vingt-deux heures, des ratés. Je plonge sous le capot et constate que, dans mon pré-filtre à gasoil, c’est de la purée. Je le vidange en vitesse, je sais ce que ça m’a coûté à Durban, et le moteur s’arrête. Pas question de changer les filtres, purger et remettre en route maintenant. On attrape une dizaine de mètres de creux, ça commence à déferler, je ne me vois pas avec une lampe électrique dans le moteur. Et puis, s’il a du mal à redémarrer, je risque de ne plus avoir assez de courant pour les appareils pour la nuit. Par ce temps, il me faut au moins les lumières, le GPS et le pilote. On se résigne donc à faire un cap qui ne nous approche plus du tout de notre but. Une demi-heure plus tard, l’annexe traîne dans l’eau. Le bout qui attachait son nez a cassé, son avant fait sous-marin au passage de chaque crête de vague, ça peut tenir quelques secondes ou quelques minutes mais pas plus, quelque chose va casser. Je commence par arrêter le bateau, mais, avec ce vent, ça secoue quand même encore très fort. Christiane est sortie dans le cockpit pour m’aider. J’ai peur, parce qu’elle veut trop faire attention à moi et ne fait pas attention à elle. Une déferlante la rappelle à l’ordre, elle est projetée de bâbord sur tribord à une vitesse grand V, elle ne passe pas par-dessus bord, mais l’avertissement a été bon. Si l’un de nous passe par-dessus bord par ce temps, il est foutu. En quelques secondes on ne le voit plus, et on n’imagine pas comment arrêter le bateau et repêcher quelqu’un dans cet enfer. J’arrive à rapprocher un peu l’annexe de la jupe de Ty Mor. Christiane passe un gros bout sous le banc, et passe ce bout par-dessus le portique. On tire, et l’avant sort un peu de l’eau. Je passe un autre bout dans les anneaux de levage, et c’est bon on peut la hisser sur la jupe. Mais le temps de la tirer, le pontage a tapé sur la jupe et a cassé : c’est moindre mal. Toute la nuit, on reçoit des trombes d’eau sur le pont, des claques énormes. On prend des coups monstres, on croit être entré en collision avec un cargo, on regarde partout, l’eau ne s’engouffre pas, ce n’était qu’une déferlante. Notre mousse qui rêvait de voir du baston a quitté le bord trop tôt, ce qu’il a vu, c’était de la mise en jambes. Dans le milieu de la nuit, on a bien dépassé les quarante nœuds, peut être même les cinquante, pas loin de cent km/h. C’est ce qu’on appelle force 10 sur l’échelle Beaufort qui va de zéro à douze. Je veux virer de bord, je pense faire un meilleur cap de l’autre côté. Je demande cent vingt degrés à mon petit pilote, il essaie, il n’arrive pas. Je vais mettre le pilote intérieur, le plus costaud. Je coupe le petit, j’enclenche l’autre, et j’entends un drôle de bruit de pignons qui se coincent, la barre est bloquée. Je le coupe et remets le petit. Pourvu qu’il tienne, il n’y a plus que lui. Je le coupe pour essayer de virer, je mets la barre tout sur tribord, rien ne se passe. Je ramène la barre tout sur bâbord, rien ne se passe. Panique du capitaine, est ce qu’on a perdu le safran, que l’on n’a plus de gouvernail ? Non, la mer est trop démontée, le vent trop fort, ce n’est plus maniable. Je décide de descendre ce que j’ai laissé de grand voile, je lève la tête, horreur, une grande déchirure. Le temps de rouler, je ne ramène que des lambeaux. Avec un petit bout de foc, on arrive à se tenir à l’écart de la côte, c’est le principal. Je rentre à l’abri, trempé, crevé. Je réussis à dormir trois fois vingt minutes dans la nuit. C’est la troisième en mer, chaque nuit à tirer des bords et à surveiller les cargos, c’est dur. A l’intérieur, Christiane est calée dans la cabine arrière. Moi je reste dans le carré à surveiller. Je me cramponne tout le temps, mais de temps en temps, quand vient une déferlante, je me fais avoir. Une fois, j'atterris la tête contre le bordé, je suis sonné. Je reste une minute KO, puis je me tâte : pas de sang, apparemment pas de trauma , tout va bien. A l’heure où j’écris, on a quelques bleus en souvenir. Sur le matin, Christiane va voir la cabine avant : l’étagère bâbord a cassé, tout est étalé sur le lit. On a donc pas mal de dégâts, mais dans cette furie, l’important, c’est de rentrer sains et saufs. On aura laissé pas mal d’argent à l’Afrique du sud : une gazinière qui coûte quand même sept cents euros, une pompe à injection et les injecteurs pour mille euros, et maintenant une grand-voile. Dans un sens, c’est mieux qu’elle finisse ici, il y a des voiliers pas trop chers, mais on ne sera pas pour le carnaval à Salvador au Brésil. On ne voulait passer que quelques jours ici, c’est foutu, peut être que Cédric va nous rattraper. 
Les marins me diront : «  pourquoi ne pas avoir mis à la cape ? Ou en fuite ? Tout simplement parce que c’était la loi de l’emmerdement maximum, j’étais trop près de la côte, il fallait à tout pris que je fasse un cap au moins travers au vent, et si possible remonter un peu. Si on avait pu rester en fuite, comme quand on a remonté l’annexe, on aurait pris moins de risque de casse, on aurait eu moins de bleus à l’arrivée .
Dans la matinée du 29, çà s’est calmé doucement. Avant midi, j’ai pu changer mon filtre gasoil, purger et remettre en route : il n’y avait plus que sept à huit mètres de creux et plus de déferlantes. Mais je dois nettoyer le réservoir, toutes les quelques heures, je dois enlever la purée du pré filtre. Je pense que l’évent du réservoir a trempé plusieurs fois dans l’eau, et il a reçu des claques monstres d’eau sous pression toute la nuit. Ce que j’ai le plus appréhendé, dans tout çà, c’est qu’un hublot ou le pare-brise casse, ç’aurait été une catastrophe. 
On est rentrés au port de Simon’s Town, dans le fond de la baie de False Bay à dix heures du soir. Il faisait nuit noire, mais ici, le GPS est précis, c’est un jeu d’enfant de suivre sa route sur l’ordinateur et aller prendre un mouillage au milieu des autres bateaux. Il faut seulement bien ouvrir les yeux, en approche, pour ne pas taper une bouée ou un petit bateau au mouillage. On est donc passés sous le cap de Bonne espérance, à une dizaine de miles. On a vu l'Atlantique, mais on n’est pas encore allés y tremper notre quille. Chaque chose en son temps, c’est pour la prochaine étape. 
Minuit et Manta, les deux bateaux partis avec nous se sont réfugiés dans une baie avant le cap des Aiguilles. Ils viendront ici après le premier janvier, quand la météo sera moins mauvaise. Minuit, le bateau belge, a un site Internet où ils racontent leur périple, si les histoires de marin vous intéressent, c’est www.minuit.net Pas .com, c’est un truc cochon. Elle y donne même des recettes de cuisine, m’a-t-elle dit. Faut croire que les Belges savent faire quand même autre chose que les frites. Afrique du sud (537)

Publié dans voyage

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Q
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Intéressé par un tour du monde en bateau, j'ai passé mon après-midi à lire votre blog.<br /> Félicitations pour votre périple et merci de partager vos émotions (diverses et variées) avec le commun des mortels.<br /> <br /> <br /> J'ai décidé de voyager en travaillant (sur le net) et cela fait 6 mois déjà que j'ai quitté la France, après que mon épouse ait fait de même.<br /> <br /> <br /> Ne schant pas naviguer, j'ai naturellement opté pour l'avion. Après plusieurs sauts désordonnés, je me retrouve maintenat à Madère, une île qui m'a subjugué à tous les niveaux. Vu qu'on flotte<br /> dans l'atlantique, cela a réveillé en moi l'envie de bouger sans prendre de billets. Donc l'idée d'acheter un bateau ne me quitte plus.<br /> <br /> <br /> Cette partie importante dans la préparation d'une aventure a été à peine abordée dans votre blog (peut-être que vous en parlez davantage dans votre livre).<br /> <br /> <br /> En effet, pour un bleu comme moi, on igonre ce qui est commode pour un apprenti navigateur en solitaire (cata ou bateau classique) en terme de confort (pour y vivre), de facilité de manoeuvre et<br /> d'entretien. Sans parler du prix qui est important bien sûr.<br /> <br /> <br /> Pensez-vous qu'un néophite en navigation, puisse néanmoins réaliser ses rêves de vagabondage sur les océans (par temps calme) tout seul?<br /> <br /> <br /> Je suppose qu'il faut passer un permis ou du moins se former à piloter un bateau même s'il n'y a pas de routes et de feux tricolores?<br /> <br /> <br /> Aussi, je voudrais bien savoir ce que cela a été pour vous. Quels sont à votre avis les pré-requis techniques pour partir à l'aventure en bateau?<br /> <br /> <br /> Merci pour votre réponse en particulier et le partage de votre aventure en général qui permet à tout un chaucn de relativiser pas mal de choses...<br /> <br /> <br /> Miqua<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> je découvre votre blog par hasard..! Félicitation pour vos reportages trés interessants...! bonne route. Et encore bravo pour la démarche.<br /> <br /> <br /> A bientôt de vous lire<br /> <br /> <br /> <br />
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